L’Union européenne a recommencé à expulser des réfugiés vers la Grèce

 

| De notre correspondante à Athènes | lundi 14 août 2017

Le ministre grec de l’Immigration l’a annoncé : les renvois de réfugiés vers la Grèce ont repris, après six ans d’interruption du règlement Dublin III. Les ONG sont inquiètes alors que les autorités sont toujours débordées.

 

Par Marina Rafenberg

« Nous avons eu des pressions de certains pays européens pour reprendre les renvois vers la Grèce », a expliqué le ministre de l’Immigration, Ioannis Mouzalas, au micro d’une radio grecque. Avant de lâcher :« Je comprends que les gouvernements européens veulent satisfaire certains de leurs électeurs ».

Depuis 2011, le règlement de Dublin III était suspendu et les demandeurs d’asile entrés sur le sol européen par la Grèce n’y étaient plus renvoyés par les autres pays membres de l’Espace Schengen. Le Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations unies et plusieurs ONG considéraient que les conditions d’accueil en Grèce étaient jusqu’à présent « inhumaines » pour les réfugiés.

Le ministère de l’Immigration grec a déjà reçu 392 demandes de retour, mais pour l’instant, les renvois se font très progressivement : cinq depuis l’Allemagne, trois depuis la Suisse, deux depuis la Belgique et un depuis les Pays-Bas.

Les ONG sont inquiètes

Les personnes renvoyées en Grèce auront le droit d’y demander d’asile. Les renvois ne s’appliqueront que pour les candidats à l’exil arrivés après la fermeture de la route des Balkans en mars 2016 ; la mesure ne sera pas rétroactive.

Du côté des ONG, on grince des dents. Les conditions d’accueil en Grèce restent critiques pour les réfugiés. En juillet, Human Rights Watch affirmait par exemple que les services d’asile grecs ne prenaient pas assez bien en compte le cas des réfugiés mineurs non accompagnés souvent enregistrés comme des adultes et détenus dans les centres avec des adultes.

Vingt-cinq ONG ont également envoyé au gouvernement une lettre dénonçant l’excessive complexité administrative, qui constitue pour de nombreux réfugiés une entrave à l’accès au travail et à la santé. La Grèce accueille actuellement 60 000 réfugiés sur son territoire.

Tilos, l’île grecque qui tend les bras aux réfugiés

| De notre envoyée spéciale à Tilos | mardi 22 août 2017

École, apprentissage de la langue, travail dans les infrastructures touristiques… La petite île grecque de Tilos, près de Rhodes, accueille les réfugiés syriens avec un succès tel que beaucoup d’entre eux se verraient bien faire leur vie sur ce bout de terre émergé dans la mer Egée. Reportage.

 

Par Marina Rafenberg

Tilos ne compte que 500 habitants, se situe à 15 heures de bateau d’Athènes, et pourtant la petite île s’est acquise une renommée : abolition de la chasse en 1993, mise en place d’un système de télémédecine, premier mariage homosexuel en Grèce en 2007, accueil des réfugiés venant de Turquie avec les seuls moyens de la mairie et de la population locale, première île de Méditerranée en passe de devenir autosuffisante en énergie. À Tilos, « l’humain prime sur tout », explique en souriant la maire Maria Kamma, élue en 2004.

En 2010, l’île accueille déjà des milliers de réfugiés, Afghans et Irakiens, avant que les arrivées de Syriens ne s’amplifient au printemps 2014. Sans aide gouvernementale ou européenne, le conseil municipal et les habitants organisent l’accueil des déracinés, installés successivement dans l’école, l’église, puis un camp militaire abandonné et réaménagé. En 2014 et en 2015, jusqu’à .000 réfugiés (soit le double de la population locale) arrivaient en quelques jours sur les côtes de la petite île. « Imaginez qu’à l’époque, nous n’avions même pas de bateaux des garde-côtes pour récupérer ces pauvres personnes en pleine mer ou lors de tempête ! C’était un pêcheur de l’île qui allaient les secourir au risque de sa vie », raconte Eleni Pissa, coordinatrice de Solidarity now. Depuis juillet 2016, l’ONG a installé dix conteneurs dans l’ancien camp militaire et a encouragé les familles vulnérables qui attendaient dans des conditions pénibles sur d’autres îles comme Lesbos ou Rhodes à venir à Tilos.

Depuis la mise en place de l’accord UE-Turquie en mars 2016, le flux vers les îles grecques s’est tari. Les réfugiés qui arrivent sur les îles voient leurs demandes d’asile étudiées. Si les services d’asile considèrent que la Turquie est un « pays sûr », ils peuvent être renvoyés de l’autre côté de la mer Egée. Mais les services d’asile étant débordés, les examens des demandes prennent des mois et les réfugiés vivent dans des conditions précaires dans des camps souvent surchargés comme à Chios, Lesbos ou Kos…

Pour s’intégrer, la base, c’est la langue. Sans communiquer, on ne peut rien faire.

« Nous suivons leur demande d’asile, les mettons en contact avec des avocats à Rhodes. Parallèlement, nous leur donnons les outils appropriés pour s’assurer un avenir, ici à Tilos, en Grèce, ou à l’étranger. Pour s’intégrer, la base, c’est la langue. Sans communiquer, on ne peut rien faire. Nous donnons des cours de grec, d’anglais, d’informatique à tous les réfugiés qu’ils le souhaitent. Nous leur faisons passer des diplômes d’anglais ou d’informatique qui leur serviront s’ils décident de continuer leurs études ailleurs », soutient Eleni Pissa. Six personnes travaillent avec elle au centre d’accueil pour réfugiés : deux professeurs de grec, deux d’anglais, une assistante sociale et une femme de ménage.

Issam, 12 ans, parle anglais et grec, joue de la guitare et entonne des chansons grecques. Après un mois à Kastellorizo, puis un autre à Rhodes, il a été transféré ici avec sa famille, il y a six mois. Il s’est fait des amis grecs et a repris un rythme scolaire normal après avoir arrêté l’école pendant quatre ans. « Moi, je veux grandir à Tilos, je me sens bien avec tout le monde, l’île est très jolie. C’est un petit paradis ! », s’exclame-t-il.

Elena Pissa renchérit : « Le camp n’est qu’à cinq minutes de la place du port de Livadia. Toute la journée, les locaux et les réfugiés se côtoient, nous ne formons qu’un à Tilos. » Les habitants n’ont jamais exprimé de réticence à accueillir les réfugiés, contrairement à d’autres îles voisines plus touristiques qui craignaient des répercussions économiques. « Nous avons réagi normalement comme tout humain doit réagir face à des situations de détresse. Combien d’entre nous, Grecs, ont été réfugiés et migrants et peuvent comprendre ce que ces personnes endurent ? », note Maria Kamma. Les habitants se sont également rendus compte qu’il était de leur intérêt d’accueillir les réfugiés : treize emplois ont été créés sur l’île avec la mise en place du programme de Solidarity Now, et l’école locale va être redynamisée avec l’arrivée des jeunes réfugiés à la rentrée prochaine.

« Vous savez, 7500 réfugiés sont passés par notre île et ils transmettent tous une image très positive de Tilos dans leur pays d’accueil. En Allemagne, en Suède, on entend parler de Tilos par la voix des réfugiés », ajoute la maire. Grâce au programme de Solidarity Now, financé à hauteur de 500 000 euros par le Haut Commissariat aux Réfugiés, l’Union européenne et la fondation Open Society, sept réfugiés sur 20 ont trouvé un travail saisonnier sur l’île, dans un hôtel, une boulangerie, un restaurant et un supermarché. Maha, qui n’a jamais travaillé de sa vie en Syrie, est ravie de faire le service de chambre à l’hôtel Eleni. Et son employeur, Michalis Kipraios est admiratif : « L’administration a fait tous les papiers pour qu’elle travaillent en toute légalité et qu’elle ait la sécurité sociale. Pourquoi est-ce que j’embaucherai un autre employé venant d’Athènes ou d’ailleurs en Grèce, alors que j’ai quelqu’un sur place qui travaille très bien ? ». Dans les mois à venir, Maria Kamma veut créer une coopérative pour fabriquer le fromage de chèvre traditionnel de l’île : « Un bon moyen pour employer également les réfugiés qui le veulent. »

Grèce : de la crise économique à la crise démographique

La récession qui s’est abattue sur le pays s’accompagne d’une crise démographique sans précédent : la population vieillit et a diminué, les femmes font peu d’enfants et la jeunesse part à l’étranger.

LE MONDE ECONOMIE | 14.06.2017 à 07h08 | Par Marina Rafenberg (Athènes, intérim)

 

« Je ne veux pas élever mon enfant dans un pays où le futur est incertain. L’année dernière, j’ai perdu mon emploi, je me suis retrouvée en grande difficulté et ce n’est pas avec le salaire de mon conjoint de 800 euros par mois que nous aurions pu survivre si nous avions eu un enfant à charge… », soupire Katerina. A 34 ans, l’ancienne commerciale n’envisage pas de devenir mère.

En Grèce, d’après Médecins du monde, près d’une femme sur quatre née dans les années 1970 n’a pas d’enfant. Et le nombre de naissances n’a cessé de baisser depuis le début de la crise selon Elstat, l’Autorité grecque des statistiques : de 114 766 en 2010, elles ne s’élevaient plus qu’à 94 134 en 2013 et à 91 847 en 2015.

La population grecque diminue. Elle est passée de 11,1 millions en 2011 à 10,8 millions de personnes en 2016. « Le solde des naissances et des décès est déficitaire depuis 2011 et cette tendance va s’accentuer : le nombre de décès va augmenter car les générations qui sont nées après les années 1950, dans les années du baby-boom grec, ont désormais plus de 65 ans. Les naissances, non plus, ne vont pas augmenter car les femmes en âge de procréer ne constituent pas une grosse part de la population et le taux de fertilité reste bas », souligne Vironas Kotsamanis, professeur de démographie de l’Université de Thessalonique.

Avant la crise, le taux de fertilité grec était déjà de 1,5 et, en 2012, il a baissé à 1,3 enfant par femme, alors qu’il doit être d’au moins deux enfants par femme pour assurer le renouvellement des générations. A la maternité privée Rea, Antonia Charitou, la directrice de l’Unité néonatale, observe que « les femmes ne font qu’un enfant désormais et assez tardivement, après 30 ans ».

Pessimisme ambiant

Les bas salaires, le chômage qui touche 27 % des femmes contre 20 % des hommes, le pessimisme ambiant (selon l’Eurobaromètre de 2015, 70 % de Grecs pensent que la situation économique va se dégrader, contre 46 % dans toute l’Union européenne) ont certainement influencé la fécondité à un moment où celle-ci, longtemps très basse, commençait à remonter.

« L’absence de politique familiale et les coupes dans les dépenses sociales exigées par les créanciers du pays [Banque centrale européenne, Union européenne, Fonds monétaire international] n’ont pas non plus encouragé les femmes à faire plus d’enfants, commente Vironas Kotsamanis. Les allocations pour un troisième enfant sont ridicules en Grèce, de l’ordre de 50 euros par mois. »

Mais Antonia Charitou avance également une autre raison à cette faible natalité : « Les jeunes femmes qui ont actuellement 30 ans et plus ont grandi dans les années prospères en Grèce où les enfants étaient couverts de cadeaux, suivaient des cours privés de langues, étaient inscrits à des activités périscolaires coûteuses. Elles veulent offrir à leurs enfants le même mode de vie mais ce n’est plus tellement possible avec la crise… »

Le fléau de l’exode

Fléau supplémentaire pour la société grecque : l’exode de toute une génération de moins de 40 ans, en âge de procréer. D’après une enquête publiée en juillet 2016 par Endeavor Greece, un réseau de jeunes entrepreneurs, 350 000 Grecs se seraient expatriés entre 2008 et 2016.

Pantelis Stathopoulos, 31 ans, est parti il y a un an s’installer à Londres avec sa compagne. Embauché pour 800 euros comme responsable qualité d’une entreprise agroalimentaire à Athènes, il avait été licencié car « trop cher pour la boîte », raconte-t-il. Parti sans promesse d’embauche, Pantelis a trouvé rapidement un travail à Londres dans son domaine : « Je ne regrette pas d’être parti, j’estime qu’en Grèce, à l’heure actuelle, je serais encore au chômage. En Angleterre, au moins si je ne suis pas satisfait de mon travail, je peux le quitter, j’en retrouverai un… »

La crise démographique ne laisse rien présager de bon pour l’économie du pays déjà exsangue. « Dans une dizaine d’années, la Grèce va perdre un grand nombre d’actifs, constate, amer, Vironas Kotsamanis. La population qui peut consommer diminue, les caisses de retraite et le système de santé vont exploser car les personnes de plus de 85 ans augmentent plus vite que les autres tranches d’âge. Difficile d’être optimiste pour l’avenir de la Grèce dans ces conditions ! »

Le Maire fait souffler “l’optimisme” à Athènes avant l’Eurogroupe

Par Odile Duperry, Marina Rafenberg | Publié le 12/06/2017mis à jour à 16h48

Le ministre français de l’Economie Bruno Le Maire s’est montré optimiste lundi à Athènes avant un Eurogroupe crucial jeudi, en assurant qu’on n’était “pas loin d’un accord” sur la poursuite du plan d’aide à la Grèce.

Il a aussi annoncé “une proposition française” sur la dette grecque à cet Eurogroupe, réunion des ministres de l’Economie et des Finances de la zone euro.

“Depuis quinze jours, je multiplie les rencontres et je suis optimiste que nous aurons une bonne solution, nous ne sommes pas loin d’un accord”, a assuré M. Le Maire devant le Premier ministre Alexis Tsipras.

La Grèce a absolument besoin jeudi que l’Eurogroupe s’entende sur le prochain déboursement qui sera fait au pays, dans le cadre du plan d’aide de 86 milliards d’euros signé en juillet 2015.

La Grèce doit en effet rembourser plus de sept milliards d’euros à ses créanciers, dont la BCE, le mois prochain.

Mais le versement est actuellement bloqué, non parce que la Grèce n’aurait pas respecté ses engagements de réformes, bien au contraire, mais parce que l’Allemagne exige que le FMI participe financièrement au plan.

Or, celui-ci ne veut pas le faire sans engagement des Européens à alléger la dette grecque (179% du PIB).

Mais Berlin rechigne avant les législatives de septembre.

Alors que la Commission européenne a appelé les créanciers de la Grèce à “ne pas jouer avec le feu”, le FMI semble prêt à temporiser sur ses exigences pour garantir le versement vital de juillet.

Mais c’est la Grèce cette fois qui s’y oppose, estimant que ce compromis retarderait son retour sur les marchés.

“Il ne faut faire de procès d’intention à personne, a assuré M. Le Maire à l’issue de sa rencontre avec M. Tsipras. Chacun dans cette négociation a des intérêts, il est légitime que chacun les défende le mieux possible”.

– Porte-bonheur d’Amorgos –

Il a annoncé qu’il proposerait d’ores et déjà à l’Eurogroupe d’introduire “un mécanisme de souplesse” sur la dette grecque.

Ce mécanisme consisterait semble-t-il à lier les remboursements à la performance du pays, “plutôt que de figer les choses” sur les prévisions de croissance ou sur l’échéancier des remboursements.

Ainsi, “en fonction des résultats de la croissance, on se donne la possibilité de réévaluer les autres données”, a-t-il avancé.

Alors que personne n’attend vraiment de véritables négociations sur la dette grecque avant l’année prochaine, après les élections allemandes, ce mécanisme, espère-t-on à Bercy, pourrait notamment encourager les investissements étrangers.

M. Le Maire, qui a également rencontré lundi le ministre des Finances Euclide Tsakalotos et le gouverneur de la Banque de Grèce Yannis Stournaras, a “salué le courage” d’Alexis Tsipras et souligné avec insistance “les décisions importantes et difficiles” prises par le gouvernement grec ces derniers mois, pour remplir le cahier des charges exigé par les créanciers.

La rencontre entre les deux hommes a semblé très détendue. M. Le Maire a exhibé son bracelet porte-bonheur acquis à Amorgos, “mon île préférée en Grèce”.

“Avec l’optimisme et la chance des dieux grecs je suis sûr que nous arriverons” à un accord, a-t-il plaisanté. “Nous sommes certains que les dieux sont avec nous, mais nous devons faire ce qu’il faut pour les aider un peu”, a rétorqué M. Tsipras en souriant.

M. Le Maire, en poste depuis moins d’un mois, a déjà rencontré plusieurs interlocuteurs-clés de la négociation, Christine Lagarde, directrice générale du FMI, le ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble et Jeroen Dijsselbloem, le président néerlandais de l’Eurogroupe.

La dette grecque, et le poids qu’elle fait peser sur le pays et sur l’Europe, est un des chevaux de bataille du président français Emmanuel Macron.

Une de ses dernières déclarations de campagne, la veille de son élection, avait été qu’il “mènerait le combat” pour une restructuration de celle-ci.

“Nous savons de toute façon tous qu’il faudra en venir là”, avait-il ajouté, estimant qu’un succès redonnerait à l’Europe “de la crédibilité collective”.

 

CINÉMA GREC : YORGOS LANTHIMOS, LE CHEF DE FILE DE LA « VAGUE BIZARRE », PRIX DU SCÉNARIO À CANNES

| De notre correspondante à Athènes | samedi 27 mai 2017

 

Après avoir présenté« Canine » en 2009 et « The Lobster » en 2015, Yorgos Lanthimos, qui s’est imposé comme le chef de file de la nouvelle vague du cinéma grec, a obtenu le prix du scénario (ex-aequo) pour « Mise à mort du cerf sacré », son nouveau film.

 

Par Marina Rafenberg

Avec l’étonnant « Mise à mort du cerf sacré », c’est la troisième fois que Yorgos Lanthimos présente un film au festival de Cannes . À 44 ans, le cinéaste qui a débuté dans la publicité et les vidéos-clips avant de se consacrer au septième art surprend toujours autant avec une nouvelle œuvre inspirée du mythe antique d’Iphigénie.

L’histoire est celle d’un chirurgien, Steven, qui adopte un adolescent de 16 ans après la mort de son père lors d’une opération qu’il dirigeait. En apparence adorable au début, le jeune Martin va peu à peu se transformer en personnage diabolique et faire une prophétie terrible : tous les membres de la famille de Steven (sa femme et ses deux enfants) seront paralysés s’il ne se montre pas prêt à sacrifier l’un de ses enfants pour sauver les autres. Un huis clos déroutant et pervers qui, comme les autres films de Yorgos Lanthimos, joue avec le réel, interroge les relations sociales et familiales, mêle les dialogues absurdes à la cruauté et la violence. À la fin du film, le spectateur chamboulé doit tirer seul ses conclusions.

« Je préfère les films mystérieux qui ne donnent pas trop de détails ou d’informations sur l’histoire ou les personnages. (…) Je trouve ça beaucoup plus intéressant qu’une fiche de lecture explicative. En tant que spectateur, je veux être actif, c’est donc comme ça que j’appréhende mes propres films », déclarait-il au site Film de culte en 2013.

APRÈS COLIN FARREL ET LÉA SEYDOUX, NICOLE KIDMAN

C’est en 2009 que Yorgos Lanthimos commence à se faire remarquer sur la scène internationale avec son film « Canine » qui obtient le prix un Certain regard au 62ème festival de Cannes. Il s’agissait déjà d’un huis-clos familial pervers ayant pour décor la banlieue athénienne. Tourné avec 350 000 euros, le film donnait à l’époque l’impression d’un ovni cinématographique qui avait incité la critique à s’intéresser au renouveau du cinéma grec et à cette « vague bizarre », comme l’avait surnommée la presse anglo-saxonne.

En 2015, le réalisateur revenait avec « The Lobster », une fable futuriste dans laquelle les célibataires sont transformés en animaux s’ils ne trouvent pas l’âme-sœur dans les 45 jours. Il obtient le Prix du Jury à Cannes. Tourné en anglais, comme d’ailleurs « Mise à mort du cerf sacré », « The Lobster » a permis à Yorgos Lanthimos de toucher un plus grand public et d’attirer des acteurs réputés comme Colin Farrel, Rachel Weisz ou Léa Seydoux.

Dans son dernier opus, on retrouve Nicole Kidman. « Dans cette phase de ma vie et de ma carrière, je veux oser plus, dépasser mes limites, et un réalisateur comme Yorgos Lanthimos peut vous pousser dans cette direction », a confié l’actrice australienne lors de la présentation du film au Festival de Cannes. « Par exemple, de nombreuses fois, Yorgos demande aux acteurs de ne juste rien faire et c’est plus dur que ce que l’on croit ! »

Yorgos Lanthimos, qui lors d’une interview au Guardian en 2012 déclarait « avoir réalisé trois films en Grèce dans des circonstances très difficiles », a décidé de s’installer à Londres, où les conditions sont meilleures pour la production de ses films. Mais ce déménagement n’est pas irrévocable : « Avant j’étais réticent à l’idée de revenir en Grèce, mais maintenant je sens une espèce de liberté dans mon pays que je ne retrouve pas ailleurs à l’étranger où les réglementations sont très nombreuses », confiait-il au journal grec To Vima le 22 mai dernier.

GRÈCE : LES SECRETS DU VIN VOLCANIQUE DE SANTORIN

| De notre correspondante à Athènes | dimanche 4 juin 2017

 

L’île grecque de Santorin est mondialement connue pour ses couchers de soleil, son volcan, ses petites maisons blanches aux volets bleus. Mais elle est aussi en train de devenir une destination incontournable pour les amateurs de vins. Reportage dans les caves du domaine Argyros.

 

Par Marina Rafenberg

Chaque année, l’archipel de Santorin attire des dizaines de milliers de touristes venus du monde entier, du Canada, de Chine ou des États-Unis. Si ces derniers viennent surtout admirer les couchers de soleil de la Mer Égée, le pittoresque village d’Oia, s’ils aiment se promener sur la caldeira qui fait face au volcan, ils sont aussi nombreux à succomber au vinsanto et à l’assyrtiko, les deux vins les plus connus de l’île. « À Santorin, la culture de la vigne remonte à l’Antiquité. Des fresques et des poteries de plus de 3 500 ans représentant des vignes ont été retrouvées à Akrotiri », explique fièrement Sophia, qui accueille les visiteurs au domaine Argyros, dans le village d’Episkopi. Fondé en 1903, celui-ci a été rénové grâce à des financements européens et un tout nouveau bâtiment ultra-moderne construit en pierres grises volcaniques vient de sortir de terre. « Sur notre domaine, nous avons des vignes qui ont 150 ans », continue Sophia, en faisant découvrir les 30 hectares de l’exploitation.

Après la destruction de la cité minoenne d’Akrotiri par une irruption volcanique, vers 1 600 av. J-C, la composition du sol de l’île a changé. À Santorin, on trouve des pierres ponces, du calcaire et du schiste, mais pas d’argile, ce qui a permis aux vignes locales d’être épargnées par le phylloxéra, durant la seconde moitié du XIXe siècle. « Grâce à ce sol particulier, nous n’utilisons aucun pesticide », souligne Sophia. « Nous n’avons cependant pas encore le label bio, en raison des produits utilisés par les champs qui jouxtent nos vignes ». Autre particularité des vignes de Santorin : elles sont enroulées sur elles-mêmes, en forme de couronnes appelées kouloura. « Cette technique, utilisée depuis des siècles, permet de protéger les plantes des vents violents qui s’abattent sur l’île en hiver, et d’ombrager les raisins en période estivale », commente Sophia.

À Santorin, 75% des vignes sont constituées du cépage assyrtiko, qui donne un vin blanc sec très prisé des connaisseurs. On trouve aussi deux autres cépages, l’athiri et l’aidini. Il existe également des cépages rouges comme le mantilaria et le mavrotragano. Et surtout le vinsanto, un vin doux dont le nom vient de l’italien. Produit dès le XIIe siècle, ce nectar était exporté par les Vénitiens.

Une fois récoltés, les raisins sèchent durant 14 jours au soleil, sur des pierres ou de la paille, puis ils restent plusieurs années dans des barils cachés au fonds de caves où la température n’excède pas 13°C, hiver comme été. « Les Italiens revendiquaient aussi l’appellation de vinsanto, mais nous avons fini pas avoir gain de cause, et ’notre’ vinsanto a obtenu en 2012 l’Appellation d’origine protégée », poursuit Sophia. « Désormais, en Toscane, ils doivent écrire ’vino santo’, en deux mots, sur leurs étiquettes ».

Une victoire également saluée par Giorgos, le sommelier du domaine, qui raconte que le cépageassyrtiko a aussi été implanté en Nouvelle Zélande, mais qu’il donne là-bas un vin au goût bien différent. « On ne boit pas de l’assyrtiko, on boit du santorin ! », s’exclame Giorgos avec sérieux. Au domaine Argyros, 30 000 bouteilles sont vendues tous les ans. Une production plutôt limitée car pour 1000 m2, seuls 400 kg de raisins sont ramassés contre 3000 kg dans d’autres régions de Grèce.

Quatre générations de viticulteurs se sont succédées depuis 1903 et c’est désormais Matthew Argyros qui est au commande, épaulé par un œnologue français qui vient deux fois par an vérifier la production. « Douze ou treize viticulteurs travaillent sur l’île. Nous montrons que Santorin ne vit pas que du tourisme », explique Giorgos. « Il ne faut pas abandonner nos vignes, comme certains ont pu le faire par le passé, car c’est aussi notre richesse ».

Année après année, le vin de Santorin a fini par séduire. Les Chinois qui viennent se marier sur l’île constituent une nouvelle clientèle pour les viticulteurs. « 70 à 80% de notre production part à l’exportation vers l’Amérique et le Canada, mais aussi vers de nouveaux marchés comme la Chine et le Japon. C’est ce qui nous a permis de résister à la crise, même si notre île, grâce au tourisme, a été peu touchée par le chômage », conclut Sophia.

A Athènes, « après sept ans d’austérité, on ne voit toujours pas le bout du tunnel »

Alors que les ministres des finances de la zone euro se réunissaient lundi à Bruxelles, les Grecs observaient sans grand enthousiasme et avec lassitude cette énième réunion.

LE MONDE ECONOMIE | 23.05.2017

Athènes, correspondance – MARINA RAFENBERG (intérim)

A Athènes, place Syntagma, Eleni Stergiou arrête les passants et tente de les diriger vers le cabinet de chirurgie esthétique pour lequel elle travaille. « Après sept ans d’austérité, nous ne voyons pas le bout du tunnel. La crise n’est pas finie ! La preuve, j’en suis réduite à faire ce petit boulot, où je suis payée selon le nombre de clientes qui viennent au centre médical », explique la quadragénaire qui a perdu son emploi de commerciale il y a cinq ans.

La énième réunion de l’Eurogroupe à Bruxelles, qui s’est tenue, lundi 22 mai, afin de trouver un accord sur le déblocage d’une nouvelle tranche de prêts et sur la dette publique abyssale ne déclenche pas l’enthousiasme à Athènes. « Je perds le fil avec toutes ces réunions bruxelloises, où le gouvernement grec espérait obtenir une petite victoire qui s’est finalement soldée par plus d’austérité », soupire Mme Stergiou.

« Mauvais choix économiques »

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A 26 ans, Despina n’est pas plus optimiste. La jeune femme a vu la plupart de ses amis partir à l’étranger. « Malheureusement, la Grèce ne va pas se remettre de cette crise avant une bonne décennie… Notre génération a deux choix, soit s’exiler, soit rester au pays avec des salaires de misère », constate cette employée d’une compagnie de téléphonie.

Sur un banc ombragé de la place Syntagma, où des milliers de manifestants s’étaient rassemblés il y a quelques jours pour protester contre de nouvelles mesures de rigueur votées au Parlement, Vangelis, 38 ans, chômeur, ne voit pas l’intérêt du débat sur la dette. « Est-ce que l’allégement de la dette publique va avoir une incidence directe sur le citoyen moyen ? Même si un jour un accord était trouvé, est-ce que le gouvernement pourrait à nouveau augmenter les retraites, créer de l’emploi, baisser l’imposition sur les entreprises ? », se demande-t-il dépité. Vangelis avait voté pour Alexis Tsipras en 2015, mais il le regrette : « Nos dirigeants se plaignent de ne pas avoir de marge de manœuvre pour mener leur politique économique. C’est trop facile ! »

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« Les Grecs sont lassés »

Un avis partagé par Stamatis, 73 ans. « Tsipras a fait de mauvais choix économiques en conservant un secteur public coûteux et en taxant les entreprises. Il n’y a pas d’issue à la crise ainsi… », souligne ce retraité, qui touche une pension de 1 020 euros. Avec la quatorzième baisse des retraites votée au Parlement, le 18 mai, Stamatis perdra, à partir de 2018, 200 euros supplémentaires par mois. « Le gouvernement annonce vouloir prendre des mesures sociales pour contrer ces nouvelles mesures d’austérité. La distribution gratuite de nourritures aux enfants dans les écoles, c’est une bonne idée. Mais en quoi cela va-t-il compenser les baisses de retraite qui aidaient les familles toutes entières ? », s’offusque-t-il en feuilletant le journal Ta Nea. « Rendez-vous en 2018 », titrait le quotidien de centre gauche, prévoyant qu’aucun accord sur un allégement de la dette ne serait trouvé, lundi 22 mai.

Dans son bureau surplombant la place Syntagma, un député de Syriza, sous couvert d’anonymat, comprend l’amertume de la population. « Les Grecs sont lassés, ils voient depuis 2010 leurs salaires et leurs retraites baisser, les impôts augmenter… Mais la question de la dette devrait les intéresser !, assure-t-il confiant. La Grèce a désormais tous les avantages pour attirer les investisseurs étrangers : la main-d’œuvre, la terre, les produits sont bon marché, il ne reste qu’à lever l’incertitude sur la dette… Une fois que cette question sera réglée, le spectre de la faillite ne sera plus à l’horizon, l’économie pourra redémarrer ! »

 

GRÈCE : MALGRÉ LA COLÈRE POPULAIRE, LE PARLEMENT VOTE DE NOUVELLES MESURES D’AUSTÉRITÉ

| De notre correspondante à Athènes | vendredi 19 mai 2017

C’est une nouvelle cure de rigueur que le Parlement grec a votée dans la nuit de jeudi à vendredi. Athènes s’est engagée auprès de ses créanciers à économiser près de 5 milliards d’euros. Dans la rue, les Grecs se mobilisent contre Alexis Tsipras.

 

Par Marina Rafenberg

 

« C’est un quatrième mémorandum qui va nous mener à la pauvreté », crie au micro un syndicaliste aux manifestants qui se sont rassemblés jeudi soir sur la place Syntagma. Face à eux, le Parlement, dans lequel sont réunis les députés qui s’apprêtent à voter de nouvelles mesures d’austérité.

« Nos dirigeants sont les esclaves des créanciers, ils ne pensent pas au peuple grec qui s’enfonce dans la misère ! », s’indigne Dimitris, 79 ans, qui touche une retraite de 720 euros et ne se résout pas à une nouvelle baisse de sa pension.

Certains manifestants brûlent des drapeaux du Syriza, le parti du Premier ministre grec Alexis Tsipras. « Il nous a déçus. Finalement, il est comme les autres, il a cédé et maintient une politique d’austérité ! », regrette Sakis, un journaliste au chômage. « Si des élections étaient organisées maintenant, Tsipras ne ferait plus que 10% », pronostique-t-il.

Mercredi, Sakis a participé au défilé organisé lors de la grève générale lancée par les syndicats. Métro, bus, tramway ont fonctionné au ralenti, comme les hôpitaux grâce au personnel d’astreinte, les bateaux sont restés à quais et les écoles fermées.

Malgré la colère, le Parlement grec a voté tard dans la soirée de jeudi les réformes devant dégager 4,9 milliards d’euros d’économie. Le gouvernement grec s’y était engagé lors de l’Eurogroupe du 7 avril à Malte afin de débloquer un nouveau prêt dont Athènes a besoin d’ici le mois de juillet pour éviter la faillite.

Les mesures votées contiennent notamment une nouvelle réforme des retraites, la quatorzième en sept ans. Dès 2018, les retraites de plus d’un million de retraités (sur 2,6 millions) vont encore baisser jusqu’à 18%. D’après les chiffres officiels, elles ont déjà diminué en moyenne de 40% depuis le début de la crise. De nouvelles hausses d’impôts et des cotisations sociales sont également prévues.

Selon le gouvernement grec, cette énième cure de rigueur doivt ouvrir la voie à un allègement de sa dette, qui atteint 179 % du PIB.

GRÈCE : LA PREMIÈRE MOSQUÉE OFFICIELLE D’ATHÈNES N’EST PAS LA BIENVENUE

| De notre correspondante à Athènes | lundi 15 mai 2017

Athènes est la dernière capitale de l’Union européenne sans mosquée officielle et les musulmans désespèrent de voir leur lieu de culte inauguré. Promise par le gouvernement pour le mois de mai, l’ouverture a désormais été reportée à la fin de l’été. Reportage.

 

Par Marina Rafenberg

À Eleonas, dans la banlieue ouest d’Athènes, rien ne laisse entrevoir qu’une mosquée va être érigée au milieu des entrepôts et des stations essences. Des tôles et des barbelés empêchent d’apercevoir le bâtiment et l’avancée des travaux. Aucun minaret ne flanque l’édifice. Seuls des graffitis contre la construction de la mosquée et des petites croix en bois permettent de situer le futur lieu de culte. « Non à la mosquée », « Vive l’orthodoxie », peut-on lire sur les murs de l’entrée du chantier.

Athènes est la seule capitale européenne où il n’y a aucune mosquée officielle, alors même que la population musulmane s’élève à plus de 200 000 personnes et s’agrandit avec l’arrivée de réfugiés de Syrie, d’Afghanistan ou du Pakistan. Seule la Thrace, au Nord-Ouest du pays, possède des mosquées et des cimetières musulmans. Une importante minorité turque y vit.

La construction d’une mosquée à Athènes est un projet qui remonte à une dizaine d’années. « Depuis 2006, je me bats pour qu’on ait une mosquée, mais ma patience commence à s’épuiser », se désole Naim Elgandour, le président de l’association musulmane de Grèce. « Il est tout à fait légitime d’avoir une mosquée comme dans toutes les autres capitales européennes. Mais nous avons eu droit à des mensonges à répétition, à un manque de volonté politique. Encore récemment, le ministère de l’Enseignement et des Cultes nous avait promis que la mosquée serait prête en avril pour nous annoncer quelques semaines plus tard que son fonctionnement n’était prévu qu’en août… »

UNE MOSQUÉE À PARTAGER ENTRE SUNNITES ET CHIITES

« Les travaux de la mosquée devraient se terminer autours du 15 mai, mais son fonctionnement ne sera pas immédiat, car il faut d’abord décider de la manière dont elle sera gérée », explique Giorgos Kalantzis, le secrétaire général aux Cultes. « L’imam doit notamment être choisi lors d’un conseil administratif composé de cinq représentants de la communauté musulmane et du ministère de l’Éducation et des Cultes, mais ses membres n’ont pas encore été désignés. »

La majorité des musulmans d’Athènes sont sunnites, mais il faut que les chiites puissent aussi avoir un lieu de culte. Même si l’imam officiel de la mosquée sera sunnite, les chiites pourront décider d’avoir un autre imam. La mosquée sera un lieu géré par l’État qui pourra décider de louer la salle aux différentes tendances de la religion musulmane.

Ce n’est qu’à partir de 2013 que le projet de la mosquée a été relancé. Le 4 août 2016, le Parlement grec a finalement voté un amendement qui doit permettre la construction du lieu de culte à Eleonas. La mosquée devrait faire 500 m² pour une capacité d’accueil de 400 fidèles. Son coût est estimé à 946 000 euros et tous les frais sont couverts par l’État.

L’OPPOSITION DES HABITANTS DU QUARTIER

Après cinq appels d’offres, c’est donc le site d’Eleonas, quartier moins résidentiel qu’industriel, qui a été retenu. Mais il ne fait pas que des contents dans les environs. Des rassemblements regroupant habitants du quartier, militants du parti néo-nazi Aube dorée et représentants de l’Église orthodoxe ont déjà été organisés à plusieurs reprises.

Dans une station essence, près du chantier, Stavros ne mâche pas ses mots : « Cette mosquée ne va nous apporter que des problèmes. Déjà qu’entre musulmans, entre sunnites et chiites, ils ne s’aiment pas… J’ai peur que cela ne crée des bagarres, que ce quartier ne soit plus tranquille, qu’il se remplisse de réfugiés et de migrants ». Son ami Andreas, pompiste, ajoute : « Les habitants des alentours et les commerçants ne veulent pas de la mosquée, nous allons recueillir des signatures pour qu’elle n’ouvre pas. On aurait dû être consultés davantage par le ministère ».

Devant l’université d’Agriculture, Kostas, la vingtaine, se montre plus mesuré : « Il y aura toujours des gens pour s’opposer à la construction d’une mosquée dans leur quartier, mais les musulmans de notre pays ont droit à un lieu de culte. Eleonas n’est pas un quartier d’habitations, il y a beaucoup de friches industriels, la fac, ce n’est pas comme si c’était en plein centre d’Athènes. Il n’y aura pas d’appel à la prière, pas de minaret, donc je ne vois pas où est le problème ».

L’ENJEU DE LA LÉGALISATION DES MOSQUÉES NON-OFFICIELLES

En attendant l’ouverture de la mosquée, les musulmans pratiquants doivent prier dans des mosquées cachées dans des entrepôts ou des sous-sols. « Actuellement, il y a 70 salles de prières à Athènes, non officielles, qui doivent justement se doter auprès du ministère d’un permis de fonctionnement », affirme Giorgos Kalantzis. « Il faut que ce soit des lieux sûrs, avec des sorties de secours adaptées, des extincteurs, etc. Les lieux qui n’auront pas eu de permis du ministère devront fermer. »

À Kalithea, quartier où de nombreux Égyptiens résident depuis des années, plusieurs salles de prières n’ont pas encore reçu le fameux permis du ministère. Ali n’avait pas connaissance du lieu de construction de la future mosquée. Il assure que, de toute façon, il n’ira pas jusqu’à Eleonas pour prier, il veut continuer de pouvoir aller à sa salle de prière près de chez lui.

Le responsable de sa salle de prière, un Égyptien qui habite en Grèce depuis dix ans, d’abord réticent, finit par s’exprimer sur le sujet : « Nous sommes en négociations avec le ministère pour avoir un permis. Une seule mosquée pour 300 personnes ne suffira pas. Dans la capitale, on compte environ 300 000 musulmans. Il faut d’autres lieux de culte pour les accueillir », affirme-t-il. « D’ici quelques semaines, nous devrions avoir le permis pour continuer à faire fonctionner notre salle de prière, mais nous irons tout de même par curiosité voir la nouvelle mosquée quand elle ouvrira. »

En Grèce, le grand désarroi des retraités

Les syndicats se mobilisent mercredi contre les nouvelles mesures d’austérité et une énième réforme des retraites.

LE MONDE ECONOMIE | 16.05.2017 à 10h59 • Mis à jour le 17.05.2017 à 06h42 | Par Marina Rafenberg (Athènes, intérim)

« Notre futur est incertain. Chaque année, de nouvelles baisses des pensions de retraites et de nouveaux impôts nous tombent dessus. Nous ne savons pas combien de temps nous allons encore pouvoir vivre sur nos économies », constate, amer, Costas Theodorakopoulos, 70 ans.

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La Grèce et ses créanciers – Banque centrale européenne (BCE), Mécanisme européen de stabilité (MES) et Fonds monétaire international (FMI) – ont conclu, le 7 avril à Malte, un accord prévoyant de réduire les dépenses du pays de l’équivalent de 2 % du produit intérieur brut (PIB) entre 2019 et 2020. Il s’agit de réaliser plus de 3,6 milliards d’euros d’économies.

Pour protester contre ce nouveau train d’austérité, les syndicats du privé et du public ont appelé à une grève générale de 24 heures mercredi 17 mai. Car pour tenir cet objectif d’économies, le Parlement grec doit voter, jeudi, une énième réforme des retraites : la quatorzième depuis 2010.

La pension moyenne a chuté de 40 % depuis 2010

« Pour nos dirigeants, il est plus facile de couper dans nos pensions que de trouver de l’argent en luttant contre la corruption et l’évasion fiscale ! Mais, les retraités ne doivent pas être les sacrifiés de cette crise économique, il faut que le gouvernement fasse des économies ailleurs ! », déclare M. Theodorakopoulos, qui tenait jusqu’à ses 68 ans une pépinière à Egaleo, dans la banlieue est d’Athènes.

Après quarante-quatre années de cotisations, il devrait percevoir une retraite de 900 euros par mois, mais il est toujours dans l’attente de la liquidation de son dossier pour pouvoir commencer à toucher pleinement sa pension. « Seule une avance de 500 euros par mois m’est allouée pour le moment », explique-t-il, excédé par les retards pris par l’administration.

Selon les chiffres officiels fournis par le ministère grec des finances, dans sa base de données Helios, la pension moyenne en Grèce s’élève à 833 euros ; un montant qui a chuté de près de 40 % depuis 2010. L’épouse de M. Theodorakopoulos, Eleni, fonctionnaire à la retraite depuis sept ans, a vu sa pension fondre de 1 200 euros par mois à 850 euros.

« J’ai l’impression d’avoir été floué ! »

« Nous faisons des économies sur l’essence, le chauffage, les sorties, les vacances… Mais nous devons tout de même aider notre fille de 30 ans, au chômage depuis plus d’un an et sans allocation ! », raconte l’ancien pépiniériste.

En Grèce, où 24 % de la population active et près d’un jeune de moins de 30 ans sur deux sont sans emploi, la moitié des ménages compte sur la retraite de leurs parents ou grands-parents pour vivre, selon Savvas Robolis, professeur à l’université d’Athènes Panteion, spécialisé sur les questions de sécurité sociale.

Konstantinos Lionas, 72 ans, aide lui aussi son fils, qui, après la faillite de son entreprise, doit éponger des dettes importantes. « En sept ans, ma retraite de commerçant est passée de 1 660 euros à 1 080 euros. Et je ne suis pas le plus mal loti. Comme je suis propriétaire, au moins je ne crains pas de me faire expulser de mon logement. Mais je trouve aberrant de devoir subir encore une nouvelle baisse de mes revenus dans les années à venir comme le prévoit le dernier accord signé par le gouvernement avec les créanciers… J’ai travaillé toute ma vie depuis mes 12 ans, cotisé pour profiter de mes vieux jours, j’ai l’impression d’avoir été floué ! », s’exclame cet Athénien en colère.

D’après l’association Réseau principal des retraités, les nouvelles mesures, qui doivent être votées par le Parlement jeudi, prévoient la diminution en moyenne de 18 % du montant des pensions pour près d’un million de retraités.

« Nous nous enfonçons dans la misère »

En mai 2016, le gouvernement du premier ministre Alexis Tsipras avait déjà passé une réforme de retraites contestée. Cette loi prévoit de repousser l’âge du départ de 62 à 67 ans d’ici à 2022 ; les cotisations sociales pour les professions libérales, les indépendants et les autoentrepreneurs ont été augmentées considérablement et l’allocation de solidarité EKAS pour les retraites inférieures à 700 euros doit être progressivement supprimée d’ici à 2019.

A 95 ans, Christos Papazoglou, pâtissier à la retraite, comptait bien sur la centaine d’euros de cette aide. « Actuellement, je ne touche que 665 euros par mois et je dois en même temps payer près de 200 euros d’eau, d’électricité, de téléphone, d’impôts… et subir en plus l’augmentation de la TVA sur tous les produits, même alimentaires », soupire le vieil homme, qui, malgré son âge avancé, compte faire le déplacement depuis sa Crète natale pour participer à la manifestation contre les nouvelles mesures d’austérité.

« Il faut continuer à se mobiliser, nous nous enfonçons dans la misère. J’ai connu la guerre et je ne pensais pas un jour revivre des situations d’appauvrissement comme celle que nous vivons aujourd’hui ! », soutient M. Papazoglou, qui fait des économies sur tout. « Imaginez-vous qu’il m’arrive de m’éclairer à la bougie certains soirs ! », lance-t-il.

« Nos retraites ne servent qu’à survivre ! »

Pour Olga Lappas, 82 ans, impossible de protester mercredi. Sa santé l’en empêche. « Honnêtement, nous ne suivons même plus les baisses de retraite, mais de mois en mois ça devient de plus en plus difficile », note cette ancienne assistante sociale, qui vit dans la banlieue nord d’Athènes et dont la pension a été réduite de 30 % depuis le début de la crise.

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« Nous avons diminué toutes nos dépenses, mais pas celles indispensables à notre santé. Les rendez-vous chez les médecins, les déplacements en taxi, les médicaments, tout cela n’est pas pris en charge par la sécurité sociale. Nous sommes obligés d’aller dans le privé car sinon il faut attendre des mois pour obtenir un rendez-vous. Quant à la personne qui vient nous aider à domicile, nous la payons de notre poche faute d’aide de l’Etat », explique-t-elle avant d’arriver à ce triste constat : « Actuellement, nos retraites ne servent qu’à survivre ! »
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