La récession qui s’est abattue sur le pays s’accompagne d’une crise démographique sans précédent : la population vieillit et a diminué, les femmes font peu d’enfants et la jeunesse part à l’étranger.
LE MONDE ECONOMIE | 14.06.2017 à 07h08 | Par Marina Rafenberg (Athènes, intérim)
« Je ne veux pas élever mon enfant dans un pays où le futur est incertain. L’année dernière, j’ai perdu mon emploi, je me suis retrouvée en grande difficulté et ce n’est pas avec le salaire de mon conjoint de 800 euros par mois que nous aurions pu survivre si nous avions eu un enfant à charge… », soupire Katerina. A 34 ans, l’ancienne commerciale n’envisage pas de devenir mère.
En Grèce, d’après Médecins du monde, près d’une femme sur quatre née dans les années 1970 n’a pas d’enfant. Et le nombre de naissances n’a cessé de baisser depuis le début de la crise selon Elstat, l’Autorité grecque des statistiques : de 114 766 en 2010, elles ne s’élevaient plus qu’à 94 134 en 2013 et à 91 847 en 2015.
La population grecque diminue. Elle est passée de 11,1 millions en 2011 à 10,8 millions de personnes en 2016. « Le solde des naissances et des décès est déficitaire depuis 2011 et cette tendance va s’accentuer : le nombre de décès va augmenter car les générations qui sont nées après les années 1950, dans les années du baby-boom grec, ont désormais plus de 65 ans. Les naissances, non plus, ne vont pas augmenter car les femmes en âge de procréer ne constituent pas une grosse part de la population et le taux de fertilité reste bas », souligne Vironas Kotsamanis, professeur de démographie de l’Université de Thessalonique.
Avant la crise, le taux de fertilité grec était déjà de 1,5 et, en 2012, il a baissé à 1,3 enfant par femme, alors qu’il doit être d’au moins deux enfants par femme pour assurer le renouvellement des générations. A la maternité privée Rea, Antonia Charitou, la directrice de l’Unité néonatale, observe que « les femmes ne font qu’un enfant désormais et assez tardivement, après 30 ans ».
Pessimisme ambiant
Les bas salaires, le chômage qui touche 27 % des femmes contre 20 % des hommes, le pessimisme ambiant (selon l’Eurobaromètre de 2015, 70 % de Grecs pensent que la situation économique va se dégrader, contre 46 % dans toute l’Union européenne) ont certainement influencé la fécondité à un moment où celle-ci, longtemps très basse, commençait à remonter.
« L’absence de politique familiale et les coupes dans les dépenses sociales exigées par les créanciers du pays [Banque centrale européenne, Union européenne, Fonds monétaire international] n’ont pas non plus encouragé les femmes à faire plus d’enfants, commente Vironas Kotsamanis. Les allocations pour un troisième enfant sont ridicules en Grèce, de l’ordre de 50 euros par mois. »
Mais Antonia Charitou avance également une autre raison à cette faible natalité : « Les jeunes femmes qui ont actuellement 30 ans et plus ont grandi dans les années prospères en Grèce où les enfants étaient couverts de cadeaux, suivaient des cours privés de langues, étaient inscrits à des activités périscolaires coûteuses. Elles veulent offrir à leurs enfants le même mode de vie mais ce n’est plus tellement possible avec la crise… »
Le fléau de l’exode
Fléau supplémentaire pour la société grecque : l’exode de toute une génération de moins de 40 ans, en âge de procréer. D’après une enquête publiée en juillet 2016 par Endeavor Greece, un réseau de jeunes entrepreneurs, 350 000 Grecs se seraient expatriés entre 2008 et 2016.
Pantelis Stathopoulos, 31 ans, est parti il y a un an s’installer à Londres avec sa compagne. Embauché pour 800 euros comme responsable qualité d’une entreprise agroalimentaire à Athènes, il avait été licencié car « trop cher pour la boîte », raconte-t-il. Parti sans promesse d’embauche, Pantelis a trouvé rapidement un travail à Londres dans son domaine : « Je ne regrette pas d’être parti, j’estime qu’en Grèce, à l’heure actuelle, je serais encore au chômage. En Angleterre, au moins si je ne suis pas satisfait de mon travail, je peux le quitter, j’en retrouverai un… »
La crise démographique ne laisse rien présager de bon pour l’économie du pays déjà exsangue. « Dans une dizaine d’années, la Grèce va perdre un grand nombre d’actifs, constate, amer, Vironas Kotsamanis. La population qui peut consommer diminue, les caisses de retraite et le système de santé vont exploser car les personnes de plus de 85 ans augmentent plus vite que les autres tranches d’âge. Difficile d’être optimiste pour l’avenir de la Grèce dans ces conditions ! »