Manuel Valls est à Athènes, et se rendra en Essonne dès son retour en France vendredi après-midi. Il vient soutenir Alexis Tsipras, qui conduit dans son pays des réformes aussi impopulaires que la loi Travail en France. Une alliance surprenante entre le leader de la gauche radicale européenne et le Premier ministre.
Par Marina Rafenberg à Athènes, publié le 3/06/2016 sur l’Express.fr.
Dépôt de gerbe sur la tombe du soldat inconnu, rencontre avec le président de la République, visite du musée de l’Acropole, entretiens avec le Premier ministre Alexis Tsipras. Le programme de Manuel Valls s’apparente à toutes les visites classiques des chefs d’Etat de passage à Athènes.
Mais le Premier ministre français, accompagné par Michel Sapin, le ministre des Finances, et Harlem Désir, le secrétaire d’Etat aux Affaires européennes, n’aura pas droit aux mêmes honneurs que François Hollande fin octobre. Le président de la République avait en effet eu le privilège de faire un discours à la Vouli (le Parlement) et avait reçu le titre de “docteur honoris causa” de l’université d’Athènes.
A l’époque, la France se targuait d’avoir évité la sortie de la Grèce de la zone euro, Hollande était accueilli royalement à Athènes et envoyait un message aux frondeurs du Parti socialiste en s’affichant aux côtés du leader de la gauche radicale converti au réformisme. Alexis Tsipras, lui, choyait son meilleur allié en Europe en vue de possibles négociations sur l’allègement de la dette. En octobre, les médias grecs avaient largement couvert la visite de François Hollande. Cette fois, la discrétion est de rigueur.
Business et crise des migrants au programme
Depuis plusieurs mois, les deux gouvernements ont dû faire face à la fronde de la rue: en France avec la mobilisation contre la loi El Khomri, et en Grèce avec plusieurs grèves et défilés contre la réforme des retraites. Le cabinet d’Alexis Tsipras justifie le manque de communication sur l’arrivée de Manuel Valls par “la préoccupation première du gouvernement grec qui est d’en finir avec l’évaluation des réformes par les créanciers afin d’obtenir le versement de la tranche de prêts promise lors du dernier Eurogroupe”, mais assure “la volonté du gouvernement d’approfondir les relations franco-grecques”.
“Nous espérons que cette visite va apporter des investissements en Grèce, nous avons pris connaissances de l’intérêt d’entreprises françaises pour certaines privatisations dans le domaine de l’énergie et de l’eau. Les questions migratoires vont également être abordées: la France est le premier pays européen où les réfugiés sont transférés depuis la Grèce dans le cadre de l’accord UE-Turquie et nous voulons approfondir cette coopération”, soutient un conseiller d’Alexis Tsipras.
Tsipras, réformiste modèle pour Valls
Pour Michalis Spourdalakis, professeur en sciences politiques, cette visite discrète de Manuel Valls cache peut-être une raison plus politique: “Syriza en tant que parti a publié un communiqué pour soutenir les travailleurs en France. Alexis Tsipras qui lui-même passe des mesures difficiles à avaler pour la population grecque n’a pas forcément envie de s’afficher à côté d’un Premier ministre français qui prend des mesures impopulaires.” A Paris mi-mars, Alexis Tsipras avait lui-même dénoncé la loi Travail : “Cette logique a été imposée en Grèce […] et cela a ramené au Moyen-Âge les relations du travail.”
Mais selon le politologue George Sefertzis, “c’est un moyen de communication classique utilisé par Tsipras pour ne pas froisser la gauche de son parti car il possède une courte majorité au Parlement. Tsipras sait néanmoins que cette visite est importante, la Grèce ne peut pas se permettre de se fâcher avec un de ses plus fidèles alliés en Europe.”
Manuel Valls, quant à lui, aura sûrement envie de saluer le réformiste d’Alexis Tsipras, qui a entrepris des réformes dures mais nécessaires pour le versement de la tranche d’aide de 10,3 milliards d’euros. “Le gouvernement Tsipras (…) mène des réformes courageuses. Ces réformes, avec d’abord une grève générale, ont été adoptées en quelques heures – 1500 pages, sans amendements ! (…) Parfois il faut aller vite dans la réforme”, avait déclaré Manuel Valls au micro de BFMTV et RMC le 26 mai. Des propos qui avaient provoqué la colère de la twittosphère…